Lundi soir et quatre mots qui résonnent : mon père est mort.
Quatre mots que je n’attendais pas et qui basculent dans ma tête, mon quotidien. Me vient des perceptions, sensations de la vie, qui agitent ce vide, ce creux, cet espace que le temps avait laissé entre nous. Un vide, ce n’est pas un « rien », c’est un repli, une tanière que l’on peuple à sa manière, de jours de grands froid et de souvenirs tendres et doux.
Mon père est mort, et mon repaire se repère… Les souvenirs viennent et dissolvent le temps : souvenirs de vacances, d’enfance.
Odeur de gitane, maïs, et mégot au bord des lèvres…
Les trajets en voiture, les cassettes de Johnny, les quais de gare, mon père qui part
Paris, la caserne, les rangers et le pantalon bleu marine, un Lion et une grenadine
Son casque, descendre la visière, frères arrosoirs à la main et brûler quelques herbes
Le regarder manger des tomates, poivre noir comme tâches de coccinelles
la – si, la – si et toujours penser à lui
En août à la mer, bob sur la tête et parties de pétanque
La radio en fond sonore, les Grosses Têtes, les infos et le sport
Voir ses yeux se troubler et ressentir le souffle de l’abîme
Partir, prendre son élan, se sauver, oser et faire sa vie…
Me revient un air, une mélodie, un soir, rien qu’avec lui… Et tu danses avec lui, la tête sur son épaule… Je ferme un peu les yeux, ce n’est pas jouer un rôle. Inondation d’émotions, l’eau dévale les reliefs de mon visage, averse… le ciel est gris. Une part de mon histoire, de ma vie est partie. Il a permis que je sois là, il m’a porté dans ses bras, il m’a aimé comme il a pu et c’était comme ça.
Aujourd’hui, c’est l’Au Revoir. Tout prévoir, tout anticiper, tout préparer… Il y a autour de Lui les personnes qui l’ont aimé. Par leurs témoignages, nous découvrons une facette de toi, apaisée et douce, un homme tendre, pudique et plein d’humour. Merci à tous ces inconnus, merci pour vos mots, merci de nous offrir une part de ce qu’a été sa vie, son quotidien.
Mon père est mort et l’air est doux. C’est l’été, et l’odeur du soir dans le Haut Doubs à une saveur indescriptible, inimitable. Le clocher sonne toutes les demi-heures, tempo, rythme, mouvement, yeux qui se déploient, se plissent et grands bâillements.
Je suis chez mon frère , les « petits » me ramènent à la continuité de notre passage sur terre, au cycle de la vie. J’aime leur spontanéité enfantine, j’aime entendre Achille s’écrier « Tchin Laurent » au pot des funérailles. La vie bouillonne, fourmille, trouve sa place dans chaque espace et la joie s’invite au festin. Les émotions se bousculent, se cachent ou explosent. Tout se chevauche et se mélange : coups de téléphone, texte à écrire, pizzas à préparer, cueillette de pommes, cailloux dans l’eau, choisir une urne et faire la sieste ; prendre le temps de s’écouter et trouver les mots, ces mots qui ne sont pas les miens et qui m’appartiendront à jamais. Ces deux phrases que nous avons lues, respirations tremblotantes, larmes sur les joues et dans la voix :
« Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c’est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries. » Antoine de Saint Exupéry, Le Petit Prince.
Le temps viendra adoucir l’histoire, viendra faire vibrer les souvenirs… pour l’instant je retourne dans ma tanière, mon creux, mon repli, mon repaire… je me roule en boule et respire les émotions qui m’habitent. Je les accueille, les découvre et les décrypte. Mon terrier est solide, velouté, apaisé et serein, il y a de la place pour tous les miens.
Mon père, papa, je te laisse le plaisir de clôturer ce texte avec cette phrase, ce mantra qui occupait une place si importante pour toi et qui nous rappelle que nous sommes le changement que nous voulons voir dans le monde :
Je fais partie des gens que j’aime.